Quatre ans après la 1ère grande mission d'inventaire pluridisciplinaire organisée par le Parc national sur le mont Itoupé, ce lieu exceptionnel situé en zone de coeur de parc a accueilli une quarantaine de scientifiques pour un nouveau travail d'inventaire naturaliste en novembre 2014. Une volonté du conseil scientifique du PAG qui souhaite que ce site soit suivi dans le temps, notamment pour appréhender les impacts des changements globaux sur les écosystèmes. Une mission qui, par ailleurs, a nécessité une importante préparation en amont mobilisant les équipes du parc.
Au sommet du mont Itoupé règne une ambiance rare en Guyane : celle de la forêt à nuages.
Le mont Itoupé est un long massif situé à 80 km au sud de Saül, dans la zone de coeur du Parc amazonien de Guyane. Il s'étend sur plus de 15 km selon une orientation nord-sud et son sommet culmine à 830 m. Cela peut paraître dérisoire au regard de certaines montagnes, mais en Guyane, cela en fait le 2e point culminant. L’orientation atypique en Guyane du massif Itoupé (les autres massifs sont majoritairement orientés est-ouest) aiguise la curiosité des scientifiques comme l’explique Daniel Sabatier, botaniste à l’IRD faisant partie de l’expédition : "Nous avions vu lors de l’inventaire de 2010 qu’il y avait un contraste de végétation remarquable selon les versants du massif et nous aimerions en savoir plus aujourd’hui. Nous l’avons expliqué par un effet climatique de type Foehn avec un côté au vent très humide et un coté sous le vent qui est plus sec".
En effet le mont Itoupé présente plusieurs types forestiers, avec du côté ouest de surprenantes futaies clairsemées alternant avec quelques forêts à liane, contre des forêts à liane largement dominantes du côté est. Le microclimat qui baigne le mont Itoupé est également au centre des questionnements. En effet, le site totalise le plus fort taux d'ennuagement du Sud du plateau des Guyanes. “Les images satellitaires montrent que le sommet du mont Itoupé est dans les nuages toute l'année, même en saison sèche, indique Bertrand Goguillon, le responsable patrimoine naturels et culturels du PAG. Les brumes ne se dissipent qu'en fin de matinée".
On trouve donc au sommet un écosystème particulier et rare en Guyane : la forêt à nuages, où règnent des conditions climatiques particulièrement humides et fraîches, et qui est dominée par un sous-bois riche en mousses, lichens, épiphytes et plantes lianescentes.
Itoupé, une zone refuge ?
Les conditions climatiques particulières du site alimentent la théorie selon laquelle le mont Itoupé aurait joué un rôle de refuge pour un certain nombre d’espèces, comme l’explique Bertrand Goguillon : "Au cours de l’Histoire, l’Amazonie a connu de forts épisodes de sécheresse. Les conditions climatiques au sommet d’Itoupé ont probablement permis à des espèces de se maintenir alors qu’elles auraient disparu à des altitudes plus basses. On s’attend à trouver des communautés d’espèces particulières qui pourraient nous servir d’indicateurs face aux changements climatiques". Ces originalités climatiques n’ont pas échappé au conseil scientifique du PAG qui a vu en Itoupé un site idéal pour étudier l’impact des changements globaux sur la biodiversité. Ce sujet qui est au coeur de la politique environnementale nationale constitue un enjeu important pour le parc national en tant que gestionnaire d’espace protégé. Le conseil souhaiterait qu’à terme, un dispositif de suivi des changements climatiques y soit mis en place.
En 2014, des aires de référence, avec des capteurs météorologiques, ont d'ores et déjà été mises en place sur le versant ouest. "Les capteurs ont été installés à différentes altitudes, sur des parcelles à 400m, 600m et au sommet. Cela permettra de suivre l’évolution des conditions météorologiques locales. Nous effectuerons les relevés de données lors de notre prochaine mission sur le site en saison des pluies", explique Raphaëlle Rinaldo, la responsable recherche et développement au PAG.
Ambiance de sous-bois
Botanistes, entomologistes, arachnologues, pédologues, spécialistes des champignons... C'est une véritable équipe pluridisciplinaire qui s'est relayée sur le mont Itoupé.
Plus d’une quarantaine de techniciens et chercheurs, appartenant majoritairement à la communauté scientifique guyanaise, a participé au deuxième inventaire naturaliste pluridisciplinaire du mont Itoupé organisé en novembre 2014. Au programme de cette seconde mission d’envergure, l’étude de la dynamique des forêts avec la participation des botanistes de l’IRD de l’unité mixte de recherche AMAP (Botanique et bioinformatique de l'architecture des plantes) : "La question générale qui nous anime est de savoir si on peut établir un lien entre les conditions environnementales, le turn-over forestier et la diversité des espèces et communautés d’arbres qu’elles forment. Les originalités d’Itoupé devraient nous apporter des éléments nouveaux", déclare le botaniste Daniel Sabatier.
Itoupé passé au crible
Diaporama de la logistique héliportée et des équipes à l'oeuvre sur le terrain. © PAG/GF, aurelienbrusini.com
L’ONF faisait également partie du voyage dans le cadre de son programme "habitats" qui vise à décrire et modéliser les différents types d’habitats forestiers en Guyane. "Nous avions participé à la première mission sur Itoupé en 2010. Cette année, nous avons complété notre inventaire botanique et pédologique, notamment sur le versant est que nous n’avions pas pu prospecter", précise Olivier Brunaux, ingénieur forestier à l’ONF. L’inventaire des insectes, débuté lors de la première mission, a également été complété avec un effort d’échantillonnage conséquent mené par les spécialistes de l’association SEAG (Société entomologique des Antilles-Guyane). "Nous avions recensé plus de 1 900 espèces en 2010, dont certaines sont nouvelles pour la science. Et encore, l’identification des spécimens récoltés n’est pas terminée. Cela mobilise un réseau d’une quarantaine de spécialistes, explique Pierre-Henri Dalens, le président de la SEAG. Nous espérons en trouver d’autres ! On a placé un grand nombre de pièges à différentes altitudes pour voir si ce paramètre a une influence les espèces d’insectes qui y sont représentées".
"On a trouvée une espèce de Sapotacée, du genre Pouteria, qui pourrait bien être nouvelle pour la science car elle ne ressemble à rien de connu pour l’instant. On doit encore vérifier". D. Sabatier
D’importantes découvertes scientifiques
Au cours de la mission, les scientifiques ont identifié certaines espèces rares, voire nouvelles en Guyane : "Une espèce de fougère nouvelle en Guyane a été collectée. Elle appartient au genre Grammitis. D’autres fougères rares, témoins d’une époque passée, ont aussi été recensées", déclare Bertrand Goguillon. Les scientifiques de Diadema ont eux aussi mis en avant quelques raretés, tels que des champignons jusque-là inconnus sur le sol guyanais, ou encore une espèce d’araignée probablement nouvelle.
Le botaniste Daniel Sabatier fait lui aussi part des découvertes de son équipe : "On a trouvée une espèce de Sapotacée, du genre Pouteria, qui pourrait bien être nouvelle pour la science car elle ne ressemble à rien de connu pour l’instant. On doit encore vérifier. Nous avons aussi mis en évidence la présence de deux espèces d’arbres qui n’étaient pas connus en Guyane, dont une très rare qui est caractéristique des forêts à nuages du Venezuela. Il s’agit de Zinowiewia aymardii, une Celastracée". Des découvertes qui semblent confirmer le rôle de refuge forestier joué par le mont Itoupé.
Commence maintenant le long travail d’identification des échantillons collectés dans chaque discipline puis l’analyse des résultats à mettre en regard de ceux obtenus lors de l’inventaire de 2010. Un échantillonnage qui sera complété en 2016 en saison humide et un grand pas en prévision pour la connaissance de la biodiversité et du fonctionnement des écosystèmes guyanais.
Les habitants d'Itoupé
Grands singes (dont le rare Saki satan), amphibiens, reptiles, insectes, le fameux oiseau cloche... Le site d'Itoupé est particulièrement riche en faune. © PAG/GF
Dans les coulisses d'Itoupé
L’organisation et la coordination de cette 2e mission sur le site d’Itoupé a nécessité d’importants investissements humains et financiers de la part du Parc national. En septembre 2014, en amont du séjour des scientifiques, une équipe de dix moniteurs forestiers, piroguiers- layonneurs et logisticiens du parc a été dépêchée sur site. Une mission avant la mission, en quelque sorte.
Débarqués de l’hélicoptère au beau milieu de la jungle, ces agents des délégations territoriales du Centre et de l’Oyapock et du siège de l’établissement ont rejoint le sommet du mont Itoupé, après une longue marche à la boussole. "Comme on ne vient pas tous les jours à Itoupé, cela faisait quatre ans que les infrastructures étaient en friche, explique Gaëtan Mathoulin, le responsable de l'expédition. Notre objectif était de réouvrir les zones de posé d’hélicoptère, mais aussi de nettoyer et ouvrir plusieurs dizaines de kilomètres de layons pour que les scientifiques puissent être immédiatement opérationnels pour leurs prospections". Une mission qui, dans son ensemble s’est bien passée, avec une équipe qui a gardé le moral au beau fixe durant dix jours, galvanisée par le sentiment d'être "seuls au monde" : "Il valait mieux car on a avalé des kilomètres sur de la pente bien raide !", ironise Gaëtan.
Des efforts récompensés par les nombreuses observations de grande faune qui ont égayé les journées des layonneurs: "ça se voit qu’on est sur un site quasiment vierge de présence humaine, dit Gaëtan. J’ai rarement vu autant de grands singes qu’ici ! On a même suivi un troupeau de plus de 150 Pécaris à lèvres blanches sur 200 mètres ! ".